Altitude et Attitude : Un autre chemin du management ?

 

La santé au travail est un des enjeux majeurs des relations sociales et de la performance des entreprises. Ce sujet peut sembler paradoxal puisque, au moment où l’on pensait l’époque du travail éprouvant révolue, il semblerait à contrario que la tertiarisation de l’économie, la robotisation et l’informatisation accrue n’aient pas suffi à libérer l’homme de la pénibilité du travail. Les enquêtes montrent que non seulement les pénibilités physiques du travail demeurent, mais que l’on assiste à une progression des maux subjectifs du travail (stress, fatigue, burn-out, etc.).

Cette montée des souffrances se développe en parallèle d’une profonde vague de transformation des modes d’organisation depuis les années 1990 touchant tous les secteurs d’activités : suppression des niveaux hiérarchiques, décentralisation, accroissement des interdépendances et impératifs de coordination horizontale, montée des exigences de qualité et de délai, accroissement des procédures, des standards et du reporting.

Sur un plan strictement macro-économique, la mondialisation des échanges et l’hyper concurrence planétaire, y compris pour des entreprises de tailles moyennes, bouleversent les équilibres et fragilisent les modèles à faible agilité organisationnelle qui peinent à percevoir les enjeux du futur et à s’adapter.

Pour faire face à ces évolutions rapides, de nombreuses réflexions et études ont recherché la pierre philosophale managériale qui transformerait en force positive la complexité des modèles et les difficultés des organisations. Depuis les premiers ouvrages de Max Weber, Henri Fayol ou Henry Porter qui ont posé les fondations des théories du management, il semblerait que les dogmes managériaux peinent à trouver aujourd’hui une réponse globale et pragmatique adaptée aux enjeux identifiés supra. « Planifier, Organiser, Diriger et Contrôler » étaient et restent souvent les recettes sur lesquelles se fonde l’action des dirigeants. Cette fragilité conceptuelle globale a ouvert la voie à de multiples expériences et pratiques, largement accélérées par la digitalisation du monde qui voit émerger de nouvelles techniques dites « agiles » (sprint, scrum…) sur fond de rupture civilisationnelle portée par les « millenials ». Avec la fragmentation des techniques managériales, l’accroissement bureaucratique ou les tentatives de libération, l’entreprise vit parfois une dissonance profonde entre, d’une part, le sens donné à ses ambitions et à ses objectifs opérationnels et, d’autre part, l’épanouissement de ses salariés et de ses dirigeants. Certains parlent même de situation pré-révolutionnaire. Dans le même temps, le management a tenté de s’ériger en « science'' pour acquérir ses lettres de noblesse académique : les business-schools ont fleuri, standardisant et normalisant le savoir en « salle'' avec une multitude d’experts, pour certains n’ayant jamais managé quiconque, ni dirigé une opération en entreprise. Ce formatage a conduit peu à peu à standardiser le pilotage, notamment en cas de difficultés : réduire les coûts, restructurer, faire du downsizing, démobiliser les salariés, affaiblir la différenciation stratégique… et s’enfermer dans une spirale régressive semblent être les recettes passe-partout.

Pourtant, parmi les penseurs du management, on repère déjà dans les années 1950 des pistes qui pourraient nous éclairer aujourd’hui. Je pense à James March et Herbert Simon qui avaient bâti la théorie comportementale de la firme, considérant l’entreprise comme un corps vivant et contestant la rationalité des organisations, notamment face à l’incertitude.

Plus récemment, la contribution majeure d’Henry Mintzberg, auteur prolifique et enseignant à Mac Gill depuis 1968, doit aussi être identifiée dans cette réflexion, puisqu’il n’a cessé de questionner et dénoncer les stéréotypes de la pensée managériale. Alors, sommes-nous à la fin d’un modèle managérial qui n’a pas su réconcilier l’intérêt et l’épanouissement des individus avec la performance des organisations ? Dans un monde miné par l’incertitude, dépassé par la digitalisation, déstabilisé par la complexité des interactions et des flux de toute nature, fragilisé dans sa cohésion sociale, quelles pistes concrètes pouvons-nous proposer pour réconcilier ces contraires ? En considérant les deux entités, le corps social de l’entreprise et le corps vivant du salarié, comme des objets complexes et vivants, doués d’émotions et reliés par un destin commun, est-il possible de libérer les antagonismes et dénouer les zones de tension, même seulement à l’échelle locale ?

L’émergence de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), comme la vague de coaching et de codéveloppement qui cherchent à atténuer l’impact individuel de ces inconciliables paradoxes, illustrent bien ce besoin de recentrage, de réalignement fondamental de ces deux corps vivants. Plus récemment, les réflexions sur l’organisation du travail participative (OTP) nous ramène à de vieux concepts militaires du « commandement participatif par objectifs'' et à la fraternité d’Armes, que le général Frère, mort en déportation, avait qualifié d’une maxime : « obéir d’amitié''.

Peut-on aujourd’hui « manager d’amitié » sans perdre le sens de la mission et de l’objectif commun et sans s’exposer aux quolibets des rationalistes ?

Dans cette démarche, nous proposons de confronter à la théorie un postulat déjà expérimenté sur le terrain avec des élèves d’Executive MBA d’HEC depuis plusieurs années dans le cadre d’un partenariat construit avec le centre national de formation des gendarmes de haute montagne à Chamonix que je dirigeais à l’époque. L’idée était de placer dans la « peau'' d’un secouriste de haute montagne ces futurs cadres de haut niveau pour les interroger sur le sens de l’engagement, l’esprit de solidarité, le leadership et l’action sous contrainte au service des autres. La montagne et le secours en montagne peuvent être des lieux d’apprentissage d’un management réincarné, humain et proche, apte à affronter la complexité et l’incertitude. Prendre de la hauteur sur soi et les autres, mesurer les enjeux et les risques, prendre de l’altitude et travailler son attitude peuvent nourrir un nouveau chemin. Une expérience et une émotion vécue peuvent-elles transformer l’action managériale et contribuer à réunifier l’intégrité et l’altérité de l’homme au travail ? Comment vivre en équipe avec nos peurs et nos angoisses et trouver ensemble un chemin de sérénité ?

L’expérience vécue me semble un point d’appui solide pour grandir dès lors qu’elle est guidée vers un objectif commun qui inspire et offre une prise pour aller plus haut. C’est l’esprit du projet Mountain Path (www.mountain-path.com) qui est sous-jacent à cette réflexion.

 
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