La déflagration de l’incertitude.

24 février 2022 : Cette date est déjà entrée dans l’histoire. Avec le COVID, nous avions l’impression d’avoir vécu une crise sérieuse… et voilà que la guerre entre en Europe avec brutalité, nous rappelant à la hiérarchie des malheurs. 

Nous avons tous aujourd’hui des pensées complexes qui nous assaillent : 

  • d’abord, l’effroi et l’indignation devant cette acte de guerre immoral, tout autant qu’une profonde admiration pour le courage et la dignité du peuple ukrainien entré en résistance, 

  • ensuite, un sentiment de menace et de vulnérabilité qui touche à nos essentiels, la liberté et la démocratie, et un besoin de comprendre et de décrypter ce qui se joue sous nos yeux pour essayer d’agir avec justesse et pertinence, 

  • et, enfin, cette sourde inquiétude sur la suite des évènements.

Ce mélange des sentiments constitue un choc émotionnel collectif sans précédent pour nos générations. Le retour de la guerre en Europe sonne la fin de cette période d’expansion d’un modèle démocratique et d’un âge d’or. Nous avions espéré que de se rapprocher de l’Ours Russe se ferait sans heurt. L’extension de l’UE et de l’Otan vers l’Est n’est pas vu avec le même regard selon la perspective… 

Voici deux ans, j’ai eu la chance de faire une mission de reconnaissance en Abkhazie dans le cadre d’un projet de l’UE pour essayer de développer un programme de formation montagne tripartite entre Abkhazes, Russes et Georgiens dans les contreforts du Caucase. Une initiative pour renforcer la paix dans cette zone sensible. Le programme, malgré la bonne volonté abkhaze, a été balayé par les enjeux géopolitiques. 


En franchissant à pied le no man’s land entre Géorgie et Abkhazie, j’ai ressenti comme jamais que j’étais vulnérable. A la jointure de cette tectonique du Caucase, j’ai pris la mesure de mes naïvetés. En patientant successivement devant les postes de la police géorgienne, des forces spéciales russes, de l’armée russe et de l’armée abkhaze, j’ai franchi quatre check-points, 7 heures d’attente pour comprendre que j’entrais en zone de guerre froide.

Que les chocs culturels, identitaires, religieux trouvaient ainsi en ces lieux leur forme la plus radicale. Les traces des balles sur les murs me rappelaient ce conflit oublié entre Géorgie et Abkhazie. Et, lors de ce voyage solitaire, j’ai mesuré que les espérances fraternelles de l’UE viendraient se fracasser sur les ambitions de Poutine et de ses sbires. Mais pas un instant, je n’imaginais, comme beaucoup, que l’Ukraine que nous avions visité officiellement avec notre promotion de Saint-Cyr en 1994, dans un des premiers actes symboliques de l’amitié Franco-Ukrainienne, serait la prochaine victime. Mais, nous devons aussi penser à la Géorgie, à l’Arménie, aux pays baltes, au Japon et à la Finlande aussi qui restent des cibles potentielles et qui doivent s’interroger plus que nous aujourd’hui sur leur devenir et sans parler de Taiwan...

A ce stade, il me semble qu’une leçon stratégique fondamentale de cette guerre apparaît en clarté. Face aux tyrans, la détermination à l’action et la détention d’une force collective réelle reste le seul levier efficace des rois-philosophes. Montrer la force pour ne pas avoir à s’en servir.

Ce sera l’enjeu majeur de l’Europe de la défense d’un demain immédiat. Une Europe autonome, résiliente, libre et puissante. Et si Poutine permet ce sursaut, alors cette guerre absurde, ouvrira une ère nouvelle. En attendant, nos frères Ukrainiens nous indiquent un chemin de résistance et de dignité. Ils sont remarquables dans leur attitude. Pour nos démocraties, cette période radicale constitue une forme de « méta-incertitude » ou la combinatoire des risques fonde un mélange hautement inflammable et contaminant. Pour l’affronter, nous allons devoir mobiliser un leadership plus courageux, plus déterminé et plus robuste. Et nous n’y sommes pas très bien préparés par nos gouvernants depuis quelques décennies. 

On distingue au bout du lac la maison cachée de Staline, à quelques kilomètres du Kremlin. Il a vécu dans la datcha de Kountsevo, à l'abri des regards pendant plusieurs années.

 
 
 
 
 
Précédent
Précédent

Fièvre saisonnière en Himalaya.

Suivant
Suivant

Prises de parole - Blaise Agresti