Fièvre saisonnière en Himalaya.

Fièvre saisonnière en Himalaya.

Le mois de mai est traditionnellement celui des ascensions himalayennes avec son cortège d’exploits portés par une nouvelle dynamique post-covid. En mai 2022, Kami Rita Sherpa a ainsi gravi le toit du monde pour la 26ème fois ! 

Rien ne semble arrêter cette surenchère amplifiée par la performance de Nirma Purja qui a gravi les 14 sommets de plus de 8000 mètres en moins de sept mois, mis en lumière par la série Netflix, qui fut un véritable succès planétaire. La fièvre de l’Himalaya a gagné progressivement les esprits dans cette ère post-covid : tout est désormais possible. Le plus jeune, le plus vieux, la Xème française, américaine, japonaise, l’expédition 100% black… les 14 sommets de 8000 en moins de 6 mois, 5 mois… cette fuite en avant est accompagnée par l’hyper médiatisation, la netflixion[1] de l’alpinisme. 

Après Kilian Jornet et Alex Honnold, la notoriété planétaire de Nirma Purja ramène l’alpinisme au cœur de l’arène médiatique. Comme dans les Alpes, cette fièvre temporaire retombera probablement quand les superlatifs seront épuisés par leur propre répétition et que la conscience des enjeux éthiques reprendra le dessus sur les enjeux commerciaux.

 

Depuis 1922 et en un siècle, 14000 alpinistes ont tenté l’Everest et plus de 4000 ont réussi le sommet tant convoité avec un taux de réussite qui a doublé ces dernières années. Chaque année, les records tombent les uns après les autres.  L’aspiration à la nature et à la liberté devient plus puissante au fur et à mesure que se développe l’enfermement urbain, sociétal et digital. Pour une frange de la population assignée au télétravail et à la position assise, l’envie de gravir une montagne devient un sursaut de vie.

 Au sein de cette population attirée par « l’Outdoor » au sens large, il y a ceux qui recherchent l’absolu, la rareté, que ce soit le « tourisme du dernier glaçon » vers les pôles ou « la quête du plus haut » vers l’Everest et les sommets de chaque continent. Nos civilisations occidentales ont puissamment cultivé cette obsession, avec la symbolique de la réussite et de la réalisation de soi. L’ascension d’un sommet, qu’il soit professionnel, social ou géographique, polarise comme jamais les désirs existentiels d’aventure. Et si c’est la plus haute montagne d’Europe ou du monde, c’est encore mieux !

 

Le moteur principal reste l’ego, ou pour caricaturer « le selfie du sommet ». Mais derrière le selfie, c’est simplement le sentiment d’exister. Une montagne comme l’Everest, symbole d’inaccessible rendu accessible par le développement des expéditions commerciales, permet de fleurter avec un sentiment d’éternité que le danger sublime. Cette « promesse d’Everest » a un prix économique, environnemental et éthique, mais aussi humain avec un taux de mortalité de 1% selon une étude publiée en 2020. Malgré les progrès des secours au Népal, la haute altitude reste un lieu à part. Les hélicoptères sont en limite de puissance et les vents rendent le sauvetage très aléatoire, voire impossible au-dessus de 8000 mètres. Pourtant, avec la commercialisation intensive des ascensions, le service après-vente – le secours – est devenu une quasi-obligation pour les agences de trekking népalaises. La question qui vient alors : comment tenir cet engagement impossible ? Et, plus largement, le Népal, qui concentre les problématiques les plus complexes, les risques comme les opportunités, pourrait devenir un laboratoire pour écrire et inventer un tourisme de nature plus durable et soutenable. Né à Chamonix au début du XIXème siècle, l’alpinisme devenu himalayisme est entré dans une ère bien incertaine. En espérant que nous puissions trouver un chemin de raison.

 
 
 
 
 
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