Résister à la tentation

Corréler un esprit critique face à la pensée dominante, apprendre à déjouer les pièges cognitifs et s’appuyer sur des méthodes d’aide à la décision sont des éléments clefs pour bâtir un bon leader en période d’incertitude.

Skieur de randonnée dans une pente vierge de neige poudreuse.

Skieur de randonnée dans une pente vierge de neige poudreuse.

Résister à la tentation de la pente et de la peuf. Résister au crépitement des réseaux sociaux avec des photos de poudreuse et de free-riders qui attisent l’envie et la frustration. Résister à la frénésie et à la boulimie de se jeter dans une pente quand le risque d’avalanche est de 4/5…

Chaque hiver, le bilan des accidents en avalanche n’est qu’une litanie de drames prévisibles, écrits et prémédités par notre inconscient. Les neurosciences ont exploré depuis longtemps les mécanismes du cerveau qui nous conduisent à prendre des risques insensés. La neige poudreuse reste une forme de graal absurde que nous poursuivons au péril de nos vies. Mais personne n’ose relier ces accidents à l’impact des représentations, des images, des réseaux sociaux et de ce marketing du risque sournois qui façonne notre imaginaire de la montagne en hiver depuis quelques décennies. Et, à chaque épisode de neige, c’est la même (triste) histoire.

L'effet domino

La cause principale des avalanches est la présence d’une sous-couche fragile enfouie dans la profondeur du manteau neigeux qui va se rompre lors d’une légère surcharge qu’elle soit provoquée par l’humain et/ou liée à l’évolution des températures. Ce mécanisme est à l’origine d’une part importante des accidents. L’effet domino qui déclenche l’avalanche, comme les mécanismes de déclenchement des crises, obéissent à des règles de probabilité et d’occurrence similaires. Une avalanche est le croisement d’une instabilité potentielle et d’un évènement déclencheur, souvent provoqué par l’Homme. La plupart des experts s’accordent pour dire que plus ils étudient la complexité des mécanismes de déclenchement plus il apparaît difficile d’en fixer la prédictibilité. Alors comment prendre une décision dans ces conditions ? Chaque guide de haute montagne vit quotidiennement dans la pratique de son métier ce questionnement instable risque-décision : s’engager ou ne pas s’engager dans une pente, déclencher ou ne pas déclencher un risque ou une instabilité latente...

S’adapter : la vigilance partagée

Ces questions sont au cœur de la stratégie d’adaptation en montagne face à un environnement incertain. Pour aider le guide, il existe une méthode de réduction des risques inventée par Werner Munter, guide et nivologue suisse. Elle impose 3 étapes itératives : une préalable à la sortie lors de la phase préparatoire (approche régionale), une au départ du projet (approche locale) et une face à un changement significatif du terrain (approche zonale). A chacune de ces étapes, le guide doit évaluer 3 facteurs clefs : le facteur nivo-météorologique (le risque d’avalanche et les conditions météorologiques), le facteur humain (le groupe, ses forces et ses faiblesses) et le terrain local avec ses caractéristiques propres. Cette méthode dite 3X3 est fondée sur l’observation des signaux faibles et du questionnement croisé. Elle est un des outils essentiels à la réduction des risques et d’aide à la décision face au risque d’avalanche en particulier. La résultante est un mode de vigilance adapté et des comportements spécifiques. Cette méthode identifie donc le facteur humain comme un des facteurs clefs de l’analyse des risques. La question essentielle est celle des biais cognitifs et des pièges de notre inconscient.

Déjouer les pièges cognitifs

Décrypter ce que notre cerveau perçoit et comprend, identifier les effets d’entraînements, le désir de séduction, l’excès de confiance, les biais d’ancrage, de croyance et de confirmation (tendance, très commune, à ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent) et bien d’autres. Combien sont ceux qui disposent de ces connaissances fines parmi les leaders, les guides de montagne, les managers ou les équipes qui dirigent des organisations dans un monde incertain ? Cette carence majeure de nos systèmes éducatifs et de notre formation continue (la compréhension des comportements face au risque et à l’incertitude) fragilise depuis bien longtemps la qualité des choix et des orientations.

En définitive, il s’agit bien de corréler un esprit critique et de résistance à la pensée dominante, d’apprendre à déjouer les pièges cognitifs, de s’appuyer sur des méthodes d’aide à la décision et de conserver une vigilance fondée sur l’écoute fine de notre intuition. Ces éléments constituent probablement les clefs pour bâtir un bon leader en période d’incertitude.


Sur ce sujet du renoncement, Blaise Agresti était l'invité de Pauline Alleau, Journaliste à France 3 Alpes, lors du 12/13 du mardi 05 février. L'émission est à retrouver ici : https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/emissions/jt-1213-alpes

 
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