Toucher le silence
Cette formule m’est venue en redescendant du sommet du Grand Paradis voici quelques jours. Elle est un mélange de sensations et de mots qui s’entrechoquent. D’abord parce que depuis fin août, on entend beaucoup parler de ce livre “Noise” écrit par le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, qui analyse l’impact du bruit sur la prise de décision. Cette réflexion présentée lors d’une conférence à HEC est une occasion de mesurer la valeur inestimable du silence dans nos vies. Ensuite, grâce à Erik Decamp, ami et guide aussi, j’avais découvert quelques semaines auparavant le magnifique livre d’Arthur Lochmann, “Toucher le vertige”. Un livre puissant et sobre. La formule était belle et inspirante pour décrire cette sensation irrépressible du vide.
Alors en ce dimanche 24 octobre 2021, ce n’était ni de vertige, ni de bruit dont il était question, mais du silence d’une montagne au calme de l’après-saison dans cette parenthèse immaculée de l’automne. Gravir le Grand Paradis sans personne ou presque, et observer cette nuée ardente de lagopèdes, qui nous attendaient à la montée comme à la descente pour nous saluer, éveillait des résonances profondes.
Comme à son accoutumée, Christelle, sportive de haut niveau qui découvre l’alpinisme depuis quelques années, était sur-motivée. Elle avait su vaincre mes réticences à ajouter une journée de montagne à une semaine constellée de bruits avec notamment un retour des USA, un séminaire dans les Calanques, des conférences à Paris et Lyon, du train, de la route, du blablacar, du taxi, de l’avion… Mais j’ai accepté avec plaisir, toujours partant pour une aventure alpine. Et, une fois encore, la montagne a fait des miracles.
Nos pas ont pris ce rythme régulier et suivi le sentier à la lueur de nos frontales. Nos yeux ont observé les lueurs froides du jour et nos papilles ont savouré à la première halte ce thé chaud qui réchauffe le corps. Dans l’ombre de la montagne, les doigts gourds, nous avons mis nos crampons et gravi les pentes vers le soleil. Et là, pour compléter cette expérience sensorielle, nous sommes entrés dans ce monde d’altitude et de lumière : les Alpes se découvraient du Mercantour aux Dolomites, pas un avion dans le ciel, pas un bruit, à peine le vent léger comme un frémissement.
Et c’est à cet instant que nous avons atteint le sommet et touché le silence. Assis à contempler le ciel et la terre, à mesurer cette chance d’être là, juste là, simplement. En silence. Nous n’avons pas su quoi dire d’ailleurs pénétré de cette atmosphère particulière.
Puis nous avons pris la trace de la descente, heureux. Et c’est à cet instant que j’ai relié cette idée du bruit, qui nous conduit aux décisions absurdes de nos existences. Et je me suis dit que la montagne nous offrait de sacrés cadeaux.